Assis dans mon confortable siège de bus qui devait m’emmener de Sofia, la capitale bulgare, à Skopje, celle de la Macédoine, je n’avais à aucun moment deviné ce qui allait m’arriver en cette chaude journée de septembre. Ayant entrepris avec un ami une tournée des pays des Balkans, notre périple était bel et bien tracé et minutieusement planifié des semaines à l’avance.
Le poste frontalier Guéchévo-Dévé Baïr se trouve à mi-chemin entre les deux capitales voisines, à une centaine de kilomètres de chaque ville, dans une très belle région montagneuse traversée par le massif des Rhodopes. Dans les parages, aucune âme qui vive. Les magnifiques pics de Rujen et de Velbăžd et la plaine d’Osogovo s’étendaient à perte de vue. Le bus s’arrête d’abord au poste frontalier bulgare et repart sans aucun problème. Tout le monde est en règle. On arrive ensuite, au poste macédonien. Un policier monte dans le bus, récupère les passeports de la dizaine de passagers et disparait. S’ensuit une longue attente de dix, vingt… trente minutes. Les passagers et le chauffeur du bus commencent à s’impatienter. Ce dernier commence à grogner. Quand soudain, avec un air sûr et un petit sourire malin, le policier remonte dans le bus, une pile de passeports dans la main, et commence à appeler les passagers par leurs noms en leur remettant chacun son fameux sésame.

J’avais déjà connu, par mes nombreux voyages autour du monde, plusieurs passages de frontières « délicats » et mes souvenirs vont particulièrement à celui de la frontière guatémaltèque, bélizienne, uruguayenne ou encore nicaraguayenne. Mais pour la première fois, je sentais que les choses ne tournaient pas rond. Ceci-dit, je gardais toujours espoir et l’intime conviction qu’un sourire et un bon discours argumenté pouvaient toujours m’emmener à mes fins.
Tout le monde ayant récupéré son passeport, le policier lance avec un accent slave et en anglais à haute voix : « SELLAAMII and BALEGUUII, follow me please!«
Je regarde mon ami assis à côté, et on descend du bus suivre le policier. Il fait quelques pas et s’arrête pour nous dire : « Macedonia is visa Schengen ! » (Comprenez ici que pour entrer en territoire macédonien, il nous fallait un visa Schengen).
Je réponds avec un sourire, qu’on était au courant et que tous nos papiers étaient en règle. Il enchaine (avec un anglais qui ferait retourner Shakespeare dans sa tombe) :
» SELLAMI OK because Visa Schengen! BALEGI not OK, no Visa Schengen…
– But Sir, I have a french residency card and it is similar to a Schengen Visa. (Je réponds en lui signifiant que j’étais en possession d’une carte de séjour française et qu’elle avait pareil droit qu’un visa Schengen).
– No Visa Schengen, no Macedonia…!!
– Sir! This card is even better than a Schengen visa. It allows me to stay in France which belongs to the Schengen space.
– I say: no visa Schengen, no Macedonia!«
Là, il commence à s’énerver un peu et nous demande de le suivre au bureau de son supérieur. On entre dans ce vieux bureau à la déco soviétique et aux équipements datant de l’époque du maréchal Tito. Un vieux monsieur moustachu y est assis. Le policier lui explique notre histoire. Il fait mine de comprendre et demande de nous asseoir, puis nous lance dans un calme olympien (mais toujours dans cet accent slave cassé) :
« Do you speak English Mr. BALEGI?
– I do!
– OK good! Because now we can understand each other.
– Great…
– Where is your visa Schengen?
– I have a French residency card sir.
– You said you speak English! And I asked about your visa Schengen and nothing else.
– I don’t have a Schengen Visa sir.«
Avec un sourire narquois, il enchaine – Then you cannot enter Macedonia !
« – Sir! With all my due respect, my residency card allows me to enter Macedonia and is similar, even better to the Visa Schengen you are requesting.
– No Visa Schengen, no Macedonia… Et il fait signe de sa main à son sbire, de nous montrer la porte de sortie.
– I have a question, before you take your last decision. May I?
– Yes.
– If I don’t have the right to enter the Schengen territory, how can you explain that I am coming from Bulgaria which is part of the Schengen space? If my residency card is not valid, they wouldn’t allow me to cross the border.
– I don’t know how! Ask Bulgaria…«

Je souris, comprends dans la foulée que je n’allais pas pouvoir continuer ma route vers la Macédoine et que je devais rebrousser chemin. Le policier demande à Walid de regagner le bus. Je récupère mon bagage de la soute du bus. Il continue son chemin. Je regagne le poste frontalier. Une vieille policière, mâchant du chewing-gum, me demande d’attendre un peu. Elle tapote pendant quelques minutes sur son vieil ordinateur, m’appelle au comptoir, me tend un papier écrit en cyrillique et me demande de signer en bas du document. Je refuse. Elle sourit et me répond toujours avec un anglais « balkanique » qu’il n’y a pas de problèmes et qu’elle allait signer à ma place. Elle gribouille des mots incompréhensibles sur le papier, me remet mon passeport tamponné d’un refus d’entrée sur le territoire macédonien, se met debout, me demande de la suivre et me montre (toujours avec son sourire jaune) mon chemin. Je la remercie, prends ma valise et emprunte la route du poste frontalier bulgare.
Arrivé au poste frontalier, le policer bulgare, l’air surpris, me demande que s’est-il passé. Je lui raconte ma mésaventure. Il sourit, tamponne mon passeport et me le remet en disant « Toujours cons ces Macédoniens ! ». À la sortie du poste, je retrouve mes montagnes et la route escarpée qui m’a emmené jusqu’ici. Je regarde aux alentours, en espérant repérer une voiture ou un bus qui pourrait m’emmener à Sofia. Niet ! J’attends pendant une bonne demi-heure, quand soudain une vieille Mercedes s’arrête à côté et un vieux bonhomme tatoué me demande où est-ce que je désire aller. Je réponds que le centre-ville de Sofia était ma destination. Je négocie avec lui le prix de la course et il accepte de m’y emmener pour 50 euros.
Sur la route, je repense à ce qui vient de se passer ; souris et me dis qu’il me faut maintenant un plan B qui pourra sauver le restant de mon itinéraire. Et tant pis pour la Macédoine. Alexandre le Grand et Mère Teresa attendront…
Souvenir de Septembre 2015