Les souvenirs m’emmènent, en essayant de me remémorer ce premier épisode d’une longue épopée de voyages, vers une chaude journée de l’été de 2001. Mon père m’avait promis de m’offrir un voyage pour ma réussite à l’examen du baccalauréat et voilà qu’il vient m’annoncer une année plus tard qu’il m’a inscrit dans un voyage organisé par l’amicale de son boulot et destiné aux enfants de ses adhérents. En somme, une sorte de colonie de vacances. L’excitation que j’ai ressenti atteignit des sommets surtout quand il vint m’annoncer que je pars en Espagne.

Vue sur le centre-ville de Madrid

Tout de suite des flots de « châteaux » ont submergé mon imagination et je commençais à m’imaginer marcher dans ces rues pavées de Cordoue que j’avais regardées dans un documentaire passé à la TV quelques années plus tôt. J’imaginais également ces spectacles de flamenco hauts en couleurs tellement typiques et stéréotypés de l’Andalousie ancrée quelque part dans l’imaginaire d’un petit adulte venant de la rive sud de la Méditerranée et qui n’avait jamais quitté auparavant son Tunis natal.

Je ne me rappelle pas la date exacte de mon départ vers la capitale Espagnole ni même les formalités d’enregistrement au comptoir de l’aéroport de Tunis ou encore le passage de police aux frontières. Tout ce dont je me souviens, c’est ce siège comfortable de la compagnie Espagnole Iberia et mon voisin de siège qui n’arrêtait pas de me raconter son dernier voyage à Paris (ce même voisin deviendra tout au long du voyage mon compagnon de route et mon partenaire dans les folies).

Le groupe faisant partie de ce voyage était composé d’une trentaine de jeunes entre 18 et 22 ans et de deux ou trois encadrants dont j’ai complètement oublié le visage après toutes ces années. Ce que je n’ai pas oublié en revanche, c’est que notre arrivée à l’aéroport de Madrid s’est faite en fin d’après-midi et qu’on avait pris quartier dans un parc urbain de la ville appelé « Casa de campo ».  Ma première impression en sortant de l’aéroport assis dans ce bus tout confort et éventrant la ville d’est en ouest, a longtemps façonné (et continue de le faire) ma vision de l’Europe et de sa culture. Des autoroutes larges, une chaussée bien tracée, pas de dunes de poussières ou de déchets jouxtant le bas-côté et surtout ce génie de construction qui nous a permis de passer sous les gradins du stade Vincente Calderon (que j’avais confondu à l’époque avec le stade du Real Madrid).

Ce dont je me rappelle aussi c’est que le parc dans lequel on avait pris nos quartiers à Madrid était étonnamment beau, vert et organisé. Il y avait un petit lac non loin de notre résidence et un parc d’attractions qui ne ressemblait pas du tout à tout ce que j’avais connu jusque-là dans ma petite Tunisie. Emporté par la fougue et l’excitation de la jeunesse, je me rappelle que les trois premières soirées étaient bien arrosées et que les vaines demandes de nos superviseurs de rejoindre nos lits avaient fini par tomber dans les oreilles d’un sourd.

Je ne me rappelle étonnement que des sorties faites dans des centres commerciaux qui aussi ne ressemblaient en aucun lieu au plus grand centre commercial que j’avais visité jusque-là : le Palmarium de Tunis.

Notre périple Ibérique a duré une quinzaine de jours pendant lesquels on a sillonné l’Andalousie de long en large. Des châteaux maures de Grenade, aux folles soirées sur les rives de Guadalquivir à Séville en passant par la mosquée Cathédrale de Grenade, l’émerveillement était à son zénith.

Ce qui revient avec insistance aussi dans mes réminiscences, c’est aussi ce jeu d’ombres et de lumières sur ces montagnes déchiquetées et ces pittoresques petits villages blancs inondés de soleil qu’on croisait tout au long de la route qui nous prenait de ville en ville. Et je ne peux oublier la première fois où dans un petit restaurant de fortune au détour d’une ruelle à Séville, une charmante jeune femme est venue demander dans un accent andalous si typique à notre table de l’huile de l’olive ; et grande était ma surprise lorsqu’elle a prononcé ces mots « Aceite de oliva porfavor ! ». C’était exactement à ce moment-là que j’ai su combien nos langues étaient proches et combien ces terres étaient empreintes de ces longues années de domination musulmane.

Qui n’a jamais vu Séville n’a jamais vu de merveille” dit un célèbre dicton espagnol. Et jeune de mes 19 ans de l’époque je ne pouvais qu’affirmer. La ville est envoûtante aussi bien par ses monuments que sont la Cathédrale de la Giralda, l’Alcazar ou encore la Torre del Oro – symbole de toutes ces conquêtes du nouveau monde et de la grandeur qu’avait été le Royaume d’Espagne pendant la Reconquista – que par ses animations de rues qui éclosent au printemps et se consomment en été.

Cathédrale Notre-Dame du Siège de Séville

Le hasard du calendrier a fait qu’on a passé un samedi soir dans la perle de l’Andalousie en plein mois de Juillet et la longue marche à pied qu’on avait entrepris avec la bande d’amis n’a fait qu’accentuer ce sentiment d’émerveillement face à ces jeunes locaux, qui éparpillés le long des berges du Guadalquivir (le fleuve qui traverse Séville) s’adonnaient à leur passion préférée qu’est la discussion autour d’une bonne bouteille de horchata ou de vin Xeres avant de rallier les bars de la ville une fois minuit passé. Je n’avais vu jamais ça de ma vie !

Moi venant d’un pays ancré dans une tradition musulmane séculaire, n’avais jamais vu ça de ma courte existence ! Et je pense, avec du recul, après toutes ces années passées à papillonner de pays en pays, que ce premier voyage a, d’une manière ou d’une autre, façonné ma vision du monde et aiguisé mon envie et ma passion de découvertes chose que malheureusement beaucoup de jeunes de nos jours ne possèdent pas.

Le souvenir de mon premier voyage s’achève avec ce sentiment de spleen que beaucoup connaissent en abordant les Terres Tunisiennes : un sentiment de mélancolie acide mêlée de délicieuses pépites de retrouvailles avec mes proches et amis pour raconter ce que l’au-delà de la méditerranée avait de si bon à offrir et à donner. Une seule et unique phrase pouvait résumer mon sentiment après mon retour en Tunisie « Ce monde caché au-delà des frontières doit être découvert et je ferai tout pour le faire tôt ou tard ».